Par Gretchen Ellis

une version plus courte de cet article parait dans le numéro d'avril 2021

Je me sens très mal à l’aise avec le glissement récent dans notre vocabulaire quaker en français car je sens qu’en abandonnant le terme « culte » nous allons perdre beaucoup de ce qui était notre trésor spirituel. Notre rencontre hebdomadaire est censée être bien plus qu’une « Assemblée de recueillement ». Si ce n’était que cela nous pourrions l’appeler « réunion de méditation ».

A mon avis, il s’agit d’un problème de traduction de la notion de « Meeting for Worship ». Si on regarde sur Google on trouve toute de suite que « Worship veut dire culte, adoration ou vénération. » Peut-être que « réunion de culte » n’est pas non plus la meilleure traduction de « Meeting for Worship », mais comme le signale Violette Ansermoz (dans un petit livret titré « Le Culte Quaker » publié par les Amis de France en 1952), il s’agit de rendre hommage à Dieu et cela a l’avantage de correspondre à un terme utilisé de façon courante par d’autres grands groupes religieux. (Et pas uniquement des groupes chrétiens, je rajouterai). Il y a aussi un aspect collectif dans la notion de « Meeting for Worship » que le mot « recueillement » ne me semble pas assez bien prendre en compte.

Il va falloir revenir aux premiers Quakers pour mieux comprendre ce qu’ils mettaient sous leur terme « Meeting for Worship ». Georges Fox a eu la révélation que « Le Christ seul pouvait parler à sa condition ». Il a créé le culte à base de silence pour laisser un espace où Dieu pouvait parler aux êtres humains dans leurs cœurs. Pour les premiers Amis, il s’agissait d’un retour à l’Église primitive voulue par le Christ qui avait bien dit : « Quand deux ou trois sont assemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux. » (Matthieu 18 : 20). Il est donc question d’une rencontre avec Dieu ou avec le Saint Esprit. « Notre tâche et notre culte, quand nous nous assemblons, consiste donc pour chacun de nous à veiller et à s’attendre à Dieu (le gras vient de moi) en lui-même, en s’abstrayant de toutes les choses visibles », dit Robert Barclay dans son Apologie.1 Barclay explique plus loin sur la même page que « Jésus-Christ, le fondateur de la religion chrétienne, ne prescrit aucune forme déterminée de culte à ses enfants sous la Loi plus pure de la Nouvelle Alliance ; il leur dit seulement que le culte qu’ils doivent désormais adopter est spirituel et en Esprit ». Et, bien sûr, un élément fondateur est ce que Jésus avait dit à la Samaritaine : « Mais l’heure vient – et maintenant elle est là - où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité…. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité ». (Jean 4, 23-24).

Le culte à base de silence commence lorsque la première personne prend place dans le cercle. Les Amis arrivent et commencent effectivement par « se recueillir ». « Se recueillir » me semble, en fait, être beaucoup plus proche de la notion de « Center down », rentrer en soi en quelque sorte, retrouver un silence intérieur. Chacun le fait individuellement : ce que le mot « se recueillir » rend bien. Et en faisant taire ce qui vient de nous-mêmes (notre ego, ou petit moi, « le vieil Adam » de Barclay) dans ce recueillement individuel qui devient progressivement un silence collectif, nous nous soumettons à l’œuvre de l’Esprit de Dieu. « Cette soumission oblige à garder d’abord le silence jusqu’à ce que l’on puisse exprimer les paroles qui viennent de l’Esprit. » (Barclay, op.cit., p 255). Quand nous sommes arrivés dans le silence profond nous sommes dans l’attente de plus grand que nous et prêts à accueillir les messages qui nous parviennent. On pourrait même dire qu’on est en Présence réelle. C’est pourquoi les Quakers disent que « Dieu est expérience ». Et le culte est encore plus que cela ! Car d’après les Amis des premiers jours, ils se sentaient rafraîchis par le mouvement de l’Esprit même si le culte était entièrement silencieux.

Je sais qu’au 21ème siècle tous les Amis n’ont pas les mêmes conceptions de la foi que les contemporains de George Fox. Mais nous continuons à nous retrouver régulièrement pour nous attendre ensemble à quelque chose qui vient peut-être de plus loin que nous-mêmes. Si ce n’est pas pour cela, est-on vraiment une Société Religieuse des Amis ? Je viens d’entendre un Ami allemand expliquer qu’il lui arrive de trembler physiquement quand il se sent appelé à se lever pour faire « un ministère de la parole ». Avant de se lever pour donner un message on doit normalement se demander si le message vient de plus loin que soi-même. On lutte contre l’idée de se lever et subitement on est debout en train de livrer le message. Une fois quand j’étais dans cet état où je luttais en moi-même pour savoir si je devais réellement me lever, je ne l’ai pas fait. Mais quelqu’un de l’autre côté du cercle l’a fait à ma place et a livré le même message que je devais donner.

Il me semble qu’il serait donc incompréhensible de nous priver complètement de la notion de « culte » qui a très bien servi aux Amis qui nous ont précédés, depuis quelques siècles en France, et qui exprime une réalité beaucoup plus grande que celle de « recueillement ». En outre les quelques livres en français que nous avons à distribuer s’y réfèrent en abondance.

Parler d’ « assemblées » ou de « réunions », peu importe. On peut même varier de temps en temps le vocabulaire en se référant comme le faisait bien Barclay à nos « Assemblées silencieuses ». Et gardons le mot « recueillement », si on le veut bien, pour la première partie du culte, la phase de « Centering down ». (Un de nos sympathisants m’a confié que la raison pour laquelle il n’aime pas ce mot « recueillement » pour le « culte » est que cela lui rappelle plutôt les obsèques à chaque fois qu’il l’entend.)

Dans la même veine, quelqu’un dans un numéro récent de la « Lettre des Amis » a essayé de rendre le mot « concern » par la notion d’une préoccupation incessante qui vous taraude. Oui, c’est bien cela et encore plus ! Comme Van Etten l’a expliqué il s’agit d’un vrai « appel intérieur ».

Les mots comptent, ne les larguons pas trop vite !

1La Lumière Intérieure Source de Vie, Apologie de la Vrai Théologie Chrétienne Telle Qu’elle est Professée et Prêchée Par Ce Peuple Appelé Par Mépris les Quakers » (1675) ; Éditions Dervy, Paris 1993, introduction et traduction par Georges Liens, p 257).