La Lettre des Amis - le bulletin des Quakers en France

La Lettre des Amis est publiée trois fois par an par le Centre Quaker International, une association loi 1901 à Paris. Elle est  distribuée gratuitement par courriel en format PDF.  Vous trouverez sur cette page quelques articles de la Lettre qui vient de sortir et des numéros précedents. Si vous souhaitez vous abonner au bulletin afin de le recevoir par courriel, envoyez un mail à lalettredesamis@quakersenfrance.org

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Cet article a paru dans la Lettre des Amis de septembre 2017

Culte du matin dirigé par les Amis de la section Europe et Moyen-Orient (EMES) du Friends World Committee for Consultation (FWCC), le Comité Consultatif Mondial des Amis, lors d’une réunion internationale, à Pisac, dans la « Vallée sacrée » inca, au Pérou. Témoignage de Julia Ryberg, le 20 juillet 2016


J’ai passé une partie de mon enfance dans un petit village guatémaltèque où mes frères et moi étions les seuls enfants nord-américains. C'était formidable lorsque des volontaires du Peace Corps venaient en visite, et que nous pouvions organiser un culte. Mes camarades mayas jetaient un coup d’oeil curieux dans la pièce où nous étions assis, épatés de voir comment nous avions tous l’air endormis à un moment donné avant de nous réveiller tout d’un coup une heure plus tard.

Pendant mon adolescence, dans les établissements d’enseignement quakers où je faisais mes études, l’assistance au culte était obligatoire. Il est probable que je n’y serais pas allée moi-même sans cela, mais je suis contente que cela l’ait été. […] Je suis tout à fait sûre que les cultes quotidiens et hebdomadaires m'ont aidée à naviguer dans les eaux difficiles de l'adolescence.

À l'âge de 20 ans, j'ai quitté ces écoles quakers qui avaient nourri mon esprit, ainsi que les cultes de mon enfance et de ma jeunesse, en ville comme à la campagne, dans l’Ohio, l’Iowa, l’Illinois, le Colorado et le Kansas, pour déménager en Suède avec mon mari. J'ai été accueillie dans sa communauté quaker là-bas, ce qui m'a certainement aidée à vivre dans un nouveau pays malgré les différences linguistiques et culturelles. Je me souviens d'avoir assisté à la réunion annuelle quaker du pays, peu de temps après mon arrivée en Suède. Pendant le culte, une chanson m’était venue à l’esprit, que chantait mon père pendant mon enfance. Ce n'était pas une chanson très connue, même aux États-Unis. Je me sentais obligée de la chanter, mais j’étais en proie à la timidité. Soudain, un visiteur venu des États-Unis se leva et chanta cette chanson. Je crois que ce fut la première fois que je pris pleinement conscience de l’action de l’Esprit pendant le culte. Le culte avait toujours été présent dans ma vie, mais désormais une aspiration nouvelle s’était éveillée en moi.

C’est une bénédiction pour moi d'avoir travaillé pour les Amis pendant 25 ans et d'avoir participé au culte quaker avec des Amis dans de nombreux pays européens, ainsi qu’en Palestine, au Kenya, et maintenant au Pérou. La célébration du culte dans des centres quakers réputés comme ceux de Woodbrooke, en Grande Bretagne, et d’Earlham et Swarthmore, aux États-Unis, possède une force particulière, notamment pour quelqu'un qui vit là où les quakers sont peu nombreux et éloignés les uns des autres […]. Le culte quaker est un lieu qui permet aux personnes qui se méfient des religions organisées de satisfaire leurs aspirations spirituelles. Dans des endroits, où il existe une forte tradition religieuse, qu'elle soit protestante ou catholique, le culte quaker offre à tous la possibilité d’explorer une tradition religieuse où il y a moins de ‘papier d'emballage autour de Dieu’, pour reprendre une expression de l'Amie suédoise Emilia Fogelklou […]. C'est un endroit où le témoignage quaker pour la paix et la réconciliation peut trouver son chemin dans des moments difficiles. Le culte quaker dans l'oasis tranquille de l’assemblée des Ami/e/s de Ramallah en Palestine en fut peut-être pour moi l'illustration la plus puissante.

Dans les années 1990, j'ai servi de responsable laïc dans l'église luthérienne, et j'ai beaucoup appris sur la liturgie de l'église, sur les vacances chrétiennes et sur la signification des sacrements. Ce fut pour moi une sorte d'instruction chrétienne que je n’avais pas reçue au cours de mon éducation quaker. J'ai rencontré quelque difficulté avec mon identité de chrétienne. Quelle sorte de chrétienne, étais-je donc ? Est-ce que je correspondais bien aux critères ? Qui pouvait en décider ? Cela m’a amenée à entreprendre des études au séminaire quaker de la faculté de théologie de l’université d’Earlham, dans l'Indiana (É.U.). Mon engagement dans l’Église luthérienne et mes études au séminaire quaker m'ont permis d'explorer les similitudes et les différences entre la voie de l'Église et la manière quaker. Dans le silence du culte quaker, je pouvais récapituler les différents éléments de la liturgie : les louanges, la confession, la réflexion sur l'Écriture, les prières d'intercession.

Dans un culte quaker à caractère expérimental organisé pour des Amis suédois lors d’une retraite de Pâques, j'ai proposé de procéder au lavage des pieds dans le silence. Nous avions alors conscience d’être en terrain sacré. Quand je célébrais la communion à l'église, je sentais qu’en avançant vers l’autel pour recevoir à genoux le pain, le vin et la bénédiction, c’était là, de façon étonnante, la partie du service qui était la plus proche du culte quaker, et je me suis souvenue que notre culte a parfois été appelé ‘la Communion à la manière des Amis'. J'ai compris la signification que l’on donne aux sacrements comme signes extérieurs d'un état intérieur. Une fois, dans un service oecuménique, j'ai été étonnée qu'une partie de la célébration ait dû être annulée parce que le pasteur avait été retardé. J'ai alors suggéré que nous pourrions observer un temps de culte en silence.

Mon identité de chrétienne est devenue un élément central de ma pratique quaker. J'ai également associé au culte quaker des éléments de la voie bouddhiste zen. Dans le silence, des mots de mystiques soufis se présentent aussi à mon esprit. La musique de Bach, les hymnes et les spirituals résonnent en moi dans le silence. Et les grandes fenêtres de la Maison de Réunion [Meeting House : le lieu du culte quaker], qui est près de chez moi dans la forêt, offrent, grâce à la flore et la faune suédoises, un véritable décor d’autel en constant changement, tandis que le mouvement des saisons m’apprend le rythme et les lois de vie. Un sentier serpente à partir de la Maison de Réunion en montant dans la forêt. J'ai souvent imaginé Jésus marchant sur ce chemin, entrant dans notre Assemblée et se sentant comme chez lui avec nous. J'entre dans le silence du culte avec un esprit d'aventure, un sentiment de liberté et de désir intense. «Viens, Esprit Saint ». Cela me rappelle que l'Esprit est déjà présent. « Je suis ici, Seigneur. Fais le vide en moi. Purifie-moi. Ouvre mon coeur. Révèle-moi la vérité de ma vie, de mes actions. Remplis-moi de Ton amour et de Ta lumière. Transforme-moi. Guide-moi. Fais de moi Ton envoyée » [L’auteure reprend des formules liturgiques familières du culte luthérien]. Que je sois baignée dans la lumière ou l’amour de Dieu, ou contusionnée après m’être battue avec des questions sans réponse, je n'ai jamais quitté une heure de culte en plus mauvaise forme que lorsque j’y étais venue.

Je ne suis pas seule pendant le culte. Quand chaque enfant de Dieu entre dans l’assemblée, je me réjouis. Mon regard se porte d’un visage à un autre, s’arrêtant sur ceux dont les yeux sont fermés. Les Amis que j’ai du mal à apprécier peuvent être perçus dans leur totalité et aimés dans le silence. La dureté de mon coeur se met à fondre, et ils deviennent précieux pour moi. Quand je suis invitée dans une nouvelle réunion et que je ne connais presque personne, je me sens « chez moi » - même si les coutumes locales et l'atmosphère peuvent varier. Cependant, il existe quelque chose de très spécial dans le culte en commun avec ceux que je connais profondément et avec qui j’ai partagé un travail et des défis communs. J'ai eu quelques discussions difficiles avec des Amis qui avaient des théologies très différentes de la mienne, et le fait que nous nous retrouvions ensemble pour le culte après avoir échangé longuement des propos éventuellement enflammés, nous fait accéder à un niveau plus profond où nous nous retrouvons en accord. […]

Dans le silence, je peux entendre la respiration d'un Ami changer. Si elle s’accélère, je sais qu’il va prendre la parole – ce que nous appelons le ministère parlé. J'attends avec impatience la ‘voix de Dieu’ à travers celle de mon Ami/e. Je me réjouis quand les mots viennent, même s’ils ne me concernent pas directement. Parfois, quand je suis sur le point de prendre la parole à mon tour, quelqu'un d'autre se lève pour exprimer ce que je voulais dire, en le présentant naturellement chère était sur le point de se lever pour parler. J'avais une grande envie de l’entendre. Enfin, elle se leva et ouvrit la bouche pour parler, mais rien ne vint. Elle attendait que les mots viennent, ouvrant et fermant la bouche, mais ils ne vinrent pas. Elle s'est assise à nouveau, aussi surprise que moi. Le message était tout simplement au-delà de ce que les mots pouvaient transmettre. Ce fut l'un des ‘ministères’ les plus puissants que j'aie vécu. Un/e ou quelques Ami/e/s peuvent prendre la parole. L'heure de culte peut aussi être totalement silencieuse. Quoi qu'il arrive, ce que nous appelons le Maître Intérieur est toujours présent en nous, parmi nous et entre nous […].

(Traduit par Jean-Louis Triaud)