Fêter les cent ans d’une organisation quaker devrait être une célébration spéciale. En effet, comme pour toutes les grandes occasions, les journées du 20 au 23 avril 2017 ont été marqué par les moments de souvenirs des réussites passées, des regards critiques sur les moments difficiles, et finalement une occasion pour regarder vers l’avenir et faire des ajustements, parfois douloureux, aux réalités politiques, financières et par rapport au soutien de sa base. Pendant ces journées fin avril, l’American Friends Service Committee (Comité de secours des Amis américains) - communément appelé selon le sigle l’AFSC - a su structurer un Sommet «Déclarons la Paix» pour fêter son centenaire selon ces trois axes. Le thème en était Regarder en arrière, afin d’avancer.
Ses débuts : Lors de l’entrée en guerre des Etats-Unis en avril 1917, un groupe de jeunes Quakers, rassemblés par Rufus Jones, a décidé de négocier avec le gouvernement afin d’obtenir pour les objecteurs de conscience un engagement de pouvoir trouver un remplacement du service militaire. Ainsi naquit le Comité. Après une formation à Haverford College, l’AFSC à l’automne 1917 a envoyé ses premières ‘troupes’ en France dans les départements de la Meuse, l’Aisne et la Somme et après l’armistice dans les villages dévastés autour de Verdun. En tout quelques 300 hommes ont, dans l’espace de deux ans et demi, œuvré pour que reprenne la vie derrière les champs de bataille. Avec leurs homologues britanniques, ils ont secouru les populations françaises de différentes manières : la mise en place de maisons démontables, la restructuration des terres agricoles, l’approvisionnement de centres de santé, dont une maternité à Châlons-sur-Marne. En mars 1920, quand les Quakers américains et britanniques se sont retirés de France, il était question au siège à Philadelphie que l’AFSC ferme boutique. Sa mission première a été accomplie. Mais l’AFSC a accepté le challenge lancé par Herbert Hoover, responsable de l’aide alimentaire gouvernementale américaine et lui-même Quaker, de gérer un programme de nourriture destiné aux enfants allemands. Baptisé Quäkerspeisung, il a nourri dans les années 1921 et 1922 jusqu’à un million d’enfants allemands par jour. A partir de 1939 pour faire face à l’arrivée dans le sud de la France d’un demi-million de réfugiés fuyant l’Espagne de Franco, l’AFSC a réagi rapidement avec un grand programme d’urgence – qui par la suite a été repris par Secours quaker, c’est à dire sous la houlette des Quakers français. Des interventions humanitaires ont eu lieu en Russie pour faire front à la grande famine de 1921, d’autres en Serbie, en Pologne, et en Autriche. Ceux-ci ne sont qu’un petit échantillon des actions du FSC (le secours britannique) et de l’AFSC. En 1947, grâce à ce travail des anonymes vers les anonymesi, les deux organes de secours quaker ont été récompensés, conjointement, du Prix Nobel de la Paix.
Le Sommet «Déclarons la Paix»
Les trois journées des célébrations ont commencé le jeudi 20 avril avec une soirée de danse, chant et un survol à caractère poétique des accomplissements du Comité. Un point fort a été la performance des 67 Sueños - un trio de rappeurs adolescents d’origine hispanique. N’étant pas nés sur le sol américain, ces Dreamers sont aujourd’hui menacés d’expulsion. En rap bilingue – anglais et espagnol – le trio a porté un message émouvant sur une panoplie de problèmes qu’affronte leur communauté.
Le vendredi 21 avril un Symposium à caractère universitaire a mis en valeur quinze travaux de recherches, la plupart ayant puisé dans les archives de l’AFSC. Quelques points forts sont : des détails personnels à partir de lettres et de journaux intimes des participants dans les programmes de secours— en France, Chine, Espagne, et autour des mineurs en grève en Virginie occidentale. Ou bien des programmes pour la justice sociale : les luttes pour la déségrégation dans les écoles en Caroline du sud ; la collaboration avec Martin Luther King, apôtre de la non-violence, et qui, malgré des tensions entre les courants du mouvement, est resté proche de l’AFSC jusqu’à son assassinat en 1968; la vie de Virginia Alexander, un médecin femme noire spécialiste de la santé publique, qui s’était battue en se servant de ses connections quakers pour encourager les blancs de combattre le racisme dans la médecine ; le soutien de l’AFSC depuis 40 ans au mouvement LGBT ; les premiers financements en faveur du développement communautaire en Palestine; une étude ethnographique sur la montée en puissance récente des femmes à Washington ; et bien d’autres. ii
Erica Choenoworth, co-présidente de l’Institut des Conflits non-violents, a clôturé le Symposium par une communication portant un message optimiste. Étayée par les analyses chiffrées, elle expliquait pourquoi à l’échelle mondiale, la démocratie était en marche avec de nombreuses avancées dans la résolution de conflits par la non-violence.
La journée de samedi 22 avril a été consacrée à une vingtaine d’ateliers organisés par le personnel de Philadelphie, de ses plus de trente bureaux nationaux et du personnel à l’étranger. Les ateliers avaient comme objectif une participation accrue de ses sympathisants en les familiarisant avec les techniques de la non-violence. D’autres ont parlé des méthodes utilisées à l’étranger dans la défense des droits des minorités – à la frontière américano-mexicaine, en Palestine et en Somalie. La journée a été clôturée par le discours du lauréat du Prix Nobel de la Paix Oscar Arias, ancien président du Costa Rica, un des rares pays au monde sans armée.
La célébration du centenaire n’a pas été une fête totalement joyeuse. Le Conseil d’administration a dû constater que pour diverses raisons – allant de la volatilité des revenus provenant des investissements de ses legs, un système informatique inadapté pour mettre en face les recettes et les dépenses, et le manque d’une bonne gestion de l’embauche du personnel après la grande crise qu’a subi l’organisation en 2009, quand elle a perdu la moitié de ses effectifs – il était obligé à prendre des décisions douloureuses. Après la clôture des cérémonies, le CA a entériné un budget comportant une coupe de treize pour cent. La Corporationiii a été plusieurs fois assurée que le nouveau système mis en place et le budget en décroissance, pérenniseraient des perspectives de durabilité à partir de 2018. Entre temps plus de vingt personnes ont perdu leur poste ou ont été réduits à un temps partiel, certaines qui ont servi l’organisation depuis 30 ans.
Samedi soir, le 23 avril, la secrétaire générale actuelle, Shan Cretin, a présenté son successeur qui reprend les rênes de l’organisation en septembre. Joyce Ajlouny, quittera bientôt ses fonctions à l’Ecole quaker de Ramallah en Palestine, pour prendre la direction du l’AFSC au moment où le Comité entre dans son deuxième siècle.
Cent années représentent un long chemin. Si elle a été des fois semée d’embûches, la vie de l’AFSC continue de susciter l’admiration à travers le monde par ses activités en faveur de la non-violence et de la justice sociale basées sur les préceptes quakers.
-- Dale Andrew
i It is through silent assistance from the nameless to the nameless that they have worked to promote the fraternity between nations. Cette phrase a été prononcée en 1947 lors de la remise du Prix Nobel de la paix.
ii Certaines de ces communications, ainsi que les vidéos des discours de Erica Chenoworth et d’Oscar Arias, peuvent être téléchargées ou regardées par le lien suivant : afsc.org/summit
iii Dans le système de gouvernance de l’AFSC, la Corporation est l’organe consultatif avec 150 membres, sans pouvoir de décision directe et qui nomme le Conseil d’administration. Elle représente la trentaine d’Assemblées annuelles des Amis à travers les Etats-Unis.