Cet article a paru dans La Lettre des Amis de Décembre 2015
Zachary Moon est aumônier militaire quaker dans l'armée étasunienne. Ces propos ont été retranscrits et traduits en français à partir du site « Quaker Speak » http://quakerspeak.com/how-can-pacifists-support-our-troops/ La position qui est ici exprimée n’engage, selon l’usage Quaker, que son auteur.
J’essaie de maintenir un espace dans lequel tous peuvent s’ouvrir, évoluer, grandir et se battre de la façon qui correspond à leurs besoins, à ce moment là, avec la conviction profonde en eux-mêmes qu’ils détiennent la force et les ressources nécessaires, et, de même, avec l’assurance qu’ils sont entourés par cette puissante sainteté qui les maintient et les fait progresser. C’est la part de moi- même qui se sent tellement Quaker qui est en jeu lorsque je fais ce travail, même si c’est dans un contexte aussi inhabituel que celui du Corps des Marines des États-Unis.
Comment des pacifistes peuvent-ils soutenir nos troupes ? Je me nomme Zachary Moon. Je vis à Denver, Colorado, et je travaille comme aumônier commissionné auprès des Marines des États-Unis. Un des enseignements que j’ai retenus, d’une manière différente, en vivant dans cette proximité avec la guerre comme aumônier militaire, c’est que certaines des choses qu’il y a à guérir après la guerre – et qui font partie du coût de la guerre, en dehors de tous les moyens financiers mis en œuvre – représentent le prix à payer par des milliers, en réalité deux millions maintenant, d’êtres humains.
Un nouveau paradigme dans nos relations avec les anciens combattants J’observe que nous désirons toujours trouver une solution programmée à ces coûts, ces traumatismes, ces symptômes provoqués par la guerre. Le Département des Anciens combattants en est un magnifique exemple, n’est-ce pas ? Voici ce qu’on entend : « Oh, nous avons besoin de ce genre de thérapie, de tous ces médicaments, et nous avons encore besoin de ce genre de services » - tout cela effectué dans le cadre de tel genre d’institution hospitalière. Ce qui manque en l’occurrence dans ces propos (et cela me fait ressentir le genre de combat mené par les personnes pour sortir de la guerre que le Département des Anciens combattants ne sera jamais capable de soulager ni même d’affronter véritablement), c’est le coût qui est inscrit dans les tréfonds de notre humanité, lequel ne peut être vraiment traité et abordé avec amour qu’à travers la relation humaine. Quand je me pose la question : « Qu’est-ce qu’une assemblée Quaker - ou toute autre communauté religieuse - pourrait faire ? », je pense que, lorsque nous sommes au mieux de notre action, c’est que nous sommes bons dans la relation humaine. Je parle de ce genre de relations humaines qui nous permet d’être à l’écoute les uns des autres, de ce genre de relations humaines qui nous permet d’écouter en passant par dessus les différences, de sorte que nous n’ayons pas de relations uniquement avec les gens qui peuvent tous être d’accord sur les mêmes choses, mais aussi, peut- être, avec des gens avec lesquels je peux être en désaccord sur de nombreux points – toutes choses qui peuvent être abordées à travers la relation humaine. Il s’agit de ces relations humaines qui permettent de créer un espace pour que la compassion, la patience et l’indulgence soient en abondance. Il suffit alors de les partager entre les uns et les autres.
Tenons nos oreilles grandes ouvertes et nos cœurs ouverts En ce qui concerne les Quakers, je pense à quel point nos réunions pour commémorer un défunt sont chargées de puissance. Vous savez, cette démarche profonde qui nous permet d'écouter à la fois la douleur et la célébration dans le même espace.
Pourrions-nous maintenir ce genre d'espace, ce niveau de profondeur et cet ensemble d'intentions pour une personne en deuil de tout ce qu’elle a perdu dans ce qui faisait partie de son service militaire, et qui veut, en outre, avoir une occasion de dire : « Vous savez, j’ai appris des choses qui étaient importantes, et que je veux trouver un moyen de poursuivre, parce que cela fait aussi partie de moi » ? Pourrions-nous trouver un moyen de célébrer aussi ce genre de choses sans regarderuniquement tout cela – sous prétexte que nous sommes des pacifistes – comme si c’était mauvais, laid, et grotesque ?
Une bienveillance réelle peut naître d’une relation avec des gens différents de ce que je suis ou de ce qu’est notre communauté, mais, pour cela, nous devons être prêts à faire un peu de travail – faire un peu le point de nos croyances et de nos valeurs - et vraiment bien savoir qui nous sommes. Il ne s’agit pas de déclarer : « Dites donc, nous avons tout compris. On va vous le faire savoir et on va essayer de vous rendre comme nous », mais plutôt de se dire : « Bon, voici les choses que je traîne avec moi et derrière moi, les unes sont bonnes, les autres ne sont probablement pas si utiles que ça, mais je dois en accepter la responsabilité dans cette relation ». Mais si, alors que vous nous parlez de votre service militaire, je me mets à penser au fait qu’il n'y avait pas d'armes de destruction massive en Irak comme ils l’avaient dit, je suis déjà en train de rater cette relation, parce que je pense d’abord à la chose négative pour nouer le dialogue. Ce que je dois faire, c’est tendre à la fois mes oreilles et mon cœur et les garder aussi ouverts que possible. Je dois les tendre vers vous et vous entendre ».