Cet article par Jean-Louis Triauda a paru dans La Lettre des Amis de décembre 2014
« Open to Transformation » fut le titre de la « Swarthmore Lecture », conférence donnée chaque année, lors de l’Assemblée Annuelle des Quakers au Royaume-Uni. Ben Pink Dandelion en fut l’auteur et Jean-Louis Triaud nous en fait un résumé.
Ben Pink Dandelion, un Quaker britannique se penche sur le passé, puis en tire des leçons pour le présent.
L’orateur montre d’abord ce que fut le processus de sécularisation et de libéralisation de la Société religieuse des Amis, en Grande-Bretagne, au cours du XIXe siècle : abandon du plain dress (une certaine façon de s’habiller simplement) et du thee, thou (tutoiement), possibilité d’épouser un/e non-Quaker (ce qui entraînait la perte de la qualité de membre auparavant), fin des visites impromptues de elders (aînés) dans les foyers quakers et respect de la vie privée, fin du quakerisme dynastique (aujourd’hui 87 % des membres du Yearly Meeting britannique sont des convertis adultes), fin de l’obligation d’être membre pour exercer une fonction et participer à une réunion d’affaires.
Au cours du XIXe siècle, les Quakers ont découvert qu’ils n’étaient pas la True Church (« l’église véritable »), mais seulement une partie de celle-ci.
Cette évolution a eu des conséquences : la distinction entre membre et sympathisant est devenue moins claire, l’assiduité hebdomadaire moins respectée au profit d’autres activités (mais c’est OK dit l’orateur : la présence est devenue une option personnelle), On assiste ainsi à une privatisation de l’appartenance et de l’identité quaker.
La foi est devenue une interprétation personnelle de l’expérience spirituelle.
L’orateur donne des repères chronologiques sur cette évolution :
1922 : révision du Book of Discipline (« Livre de Discipline ») : la section intitulée : « Christian Doctrine » est remplacée par « Illustrative Spiritual Experiences of Friends » (qu’on pourrait traduire par : « Exemples d’expériences spirituelles vécues par les Ami/e/s ».
1930 : La question est posée ouvertement au Yearly Meeting : « Do you need to be a Christian to be a Quaker » (« Est-il nécessaire que vous soyez chrétien pour être quaker ? »).
1956 : Le Yearly Meeting rejette un texte sur le membership (l’appartenance, l’adhésion, la qualité de membre) qui était jugé trop chrétien sur le plan doctrinal.
La diversité doctrinale s’est développée et, avec elle, l’incertitude. L’accent est mis davantage aujourd’hui sur l’expérience que sur la doctrine. Selon la position quaker, il s’agit de discerner la volonté de Dieu, mais si l’on doute d’un Dieu doué de volonté, et d’un Dieu tout court, cela devient difficile. Qu’allons nous enseigner ? Comment allons-nous nous présenter à l’extérieur ?
Plus loin, et pour répondre à ceux qui refusent l’emploi du nom de Dieu (God), l’orateur revient sur la question et rappelle que ce nom est un symbole : There is something there (« Il y a là quelque chose ») et nous le savons par expérience spirituelle, quel que soit le nom que nous lui donnons.
L’orateur fait allusion aux procédés de nominations : « Nous avons plus de nominations que de membres ! » On devrait, dit-il, être plus attentifs aux dons des uns et des autres, et mettre en accord les dons personnels et les rôles à occuper. (« Certains ne devraient jamais être trésoriers » !).
L’orateur en vient à ce qu’il estime fondamental pour l’avenir, pour une bonne compréhension de ce que c’est que d’être un Quaker. Il convient, dit-il, de récupérer, dans la joie et la passion, ce qui est énoncé et expliqué dans le « Livre rouge » (Quaker Faith and Practice). Tout y est. Il est « très clair ». Il faut revenir à l’expérience spirituelle sous peine de devenir un lobby (secular pressure group), un groupe d’amis réunis autour d’un café ou un simple groupe d’études. Il faut revenir à l’expérience spirituelle et, pour cela, ne pas être écrasé par les charges bureaucratiques.
Et puisque, ajoute-t-il, nous n’avons ni pape, ni archevêque, c’est à nous, si nous n’aimons pas quelque chose, de nous engager, car c’est l’inertie qui est notre ennemi. Nous avons la tâche de transformer la société, en luttant contre l’injustice, contre la guerre, pour la paix. Mais que signifie « la paix » ? ajoute-t-il avant de rappeler ce mot d’ordre : « Be transformed to transform » : « si vous voulez transformer, transformez vous, vous-même ».
L’auteur a aussi souligné des points positifs : « nous avons plus de participants dans nos meetings que jamais, nous avons davantage de communication vers l’extérieur, et nous avons plus de programmes d’études ».
J’ai beaucoup aimé ce regard lucide d’un Quaker libéral sur sa propre tradition : ce qui a disparu ou a évolué, qui était contingent, et ce qu’il faut en garder, qui est l’essentiel, à savoir la recherche de l’expérience spirituelle, qui est le cœur de l’identité quaker.
--Jean-Louis Triaud